Point fort
Le gel a frappé des régions entières

Si les conséquences sont encore difficiles à chiffrer, la période de froid qui a gagné notre pays fin avril n’a pas laissé les champs indemnes. Certaines régions ont été particulièrement touchées. Tour d’horizon.

Le gel a frappé des régions entières
«Je n’ai pas encore fait le tour de toutes les vignes, mais selon mes premiers constats, plus de 60% du domaine ont été touchés, confie tristement Florian Favre, vigneron-œnologue au domaine des Afforêts, dans le Chablais vaudois. Au-dessus de 600 mètres, la végétation a totalement brûlé, et les dégâts vont décroissants vers la plaine. Nous avons rarement vu un gel aussi intense.» Des bougies ont ainsi été placées sur 2,5 des 16 hectares de l’exploitation familiale, ce qui aura permis de sauver 70% des parcelles concernées.

Différences locales importantes
Les dégâts sont un peu moins sévères dans les vergers de Jean-Daniel Heiniger, qui cultive notamment pommiers et vignes sur La Côte: «J’ai trouvé des jeunes fruits noirs à l’intérieur, il est toutefois trop tôt pour des projections. Des fleurs plus petites ou plus tardives peuvent encore fructifier. Mais c’est théorique: si elles sont trop endommagées, les pommes pourront être craquelées ou déformées.» Depuis quelques années, le Vaudois lutte à l’aide d’une souffleuse à air, un combat difficile à mener: «Sur les 12 kilomètres qui séparent Eysins de Commugny, j’ai pu constater jusqu’à 4°C d’écart au même moment. Tout comme sur une même parcelle, on peut passer de -0,5°C à +2°C en quarante-cinq minutes, à cause du vent ou d’un nuage.» Du côté de ses vignes, rien à signaler. «C’est totalement anecdotique comparé à la situation dans le Chablais ou à Genève», lâche Jean-Daniel Heiniger.Même constat en Valais: «La topographie du canton, avec des courants qui descendent de certaines vallées, fait que nous nous retrouvons avec des climats différents sur des parcelles pourtant rapprochées. Pour l’heure, nous avons bien lutté, et nous avons l’impression de passer entre les gouttes, si je puis dire, en comparaison d’autres régions», relate Yvan Aymon, président de l’Interprofession de la vigne et du vin du Valais.En effet, dans le canton de Genève, les terres ont également eu froid. La semaine dernière déjà, nombre de vignerons annonçaient des dommages sur 40 à 80% de leurs parchets. Pour ce qui est de la suite, il s’agira d’observer la réaction des plantes au retour des températures plus douces afin de prendre les meilleures décisions possibles au moment de l’ébourgeonnage. Les pertes réelles seront, quant à elles, calculées au terme des vendanges.Pas de certitude avant la récolte
Du côté des faîtières, l’Union maraîchère suisse ne dresse pas de bilan figé; les dégâts semblent plus limités. «Le froid touche tous les légumes, qui poussent plus lentement, mais nous n’avons reçu aucun message signalant de gros dommages. Cela ne veut toutefois pas dire qu’aucun producteur n’en ait subi», indique son porte-parole Markus Waber. Idem du côté de l’Union fruitière lémanique (Ufl): «Le secteur semble moins touché que la viticulture. Même dans des cantons habituellement concernés par le gel, comme Fribourg ou le Jura, les dégâts sont hétérogènes et pas généralisables à la branche. Mais nous prenons des pincettes: il reste à voir si cette période froide, qui vient ralentir une végétation bien avancée, n’aura pas d’incidence sur la nouaison (passage de la fleur au fruit), de même qu’il a pu nuire à la présence de certains pollinisateurs… Dans le cas où ces processus auraient été compromis, on ne le verra que plus tard», note Maxime Perret, conseiller technique à l’Ufl.

Quant aux petits fruits, les inquiétudes portaient surtout sur les fraises, en pleine floraison: «Les cultures ont pu être couvertes, et peu de dégâts sont à déplorer», poursuit Maxime Perret. La suite des opérations dans les vergers? L’installation de filets paragrêle. Quel que soit le secteur, le terme de cette période de stress ne signifie pas la fin des ennuis potentiels jusqu’à la récolte. «Entre les maladies liées à des étés humides et la sécheresse des années de canicules, on a appris à ne pas se réjouir avant que le raisin soit dans la cuve, explique Yvan Aymon, de l’Interprofession de la vigne et du vin du Valais. La nature peut toujours nous réserver des surprises. Et parfois aussi des bonnes!»

Au domaine des Afforêts, Florian Favre et sa famille se sont laissé «une semaine pour être tristes», révèle le Vaudois. «Même si les dégâts risquent d’être lourds au moment de la récolte, la suite du travail à la vigne reste le même. Quand la végétation se réveillera de ce choc physiologique, nous verrons plus clairement là où elle reprendra ou non, et adapterons nos actions en conséquence. Certains cépages sont par exemple plus généreux que d’autres en bourgeons secondaires, notamment dans les rouges… Tout reste à voir!»

Texte(s): Muriel Bornet
Photo(s): Cédric Raccio

Gestion difficile

À l’époque, la végétation se réveillant gentiment en mars après un hiver froid pour entamer sa croissance, il s’agissait de rester vigilant jusqu’à la mi-mai et les saints de glace. «Ce qui inquiète la branche aujourd’hui, ce sont ces extrêmes de plus en plus fréquents, comme le mois de février très chaud cette année, explique Maxime Perret, de l’Union fruitière lémanique. Trompée, la nature s’active, accélère le développement des cultures qui se retrouvent à des stades inadéquats pour la saison, devenant parfois bien plus vulnérables au gel.»

Questions à...

Vincent Devantay, météorologue chez MétéoNews

En quoi la situation d’avril a-t-elle été particulière?
Le début du mois a été très chaud, avec de nombreux records de température. Puis est survenue, en quelques jours, une baisse de 20 à 25°C, qui a duré plus d’une semaine. Mais nous n’avons pas constaté de record de gel: pour prendre un peu de recul, ces températures-là correspondent à la norme des années 1950. Si l’on regarde uniquement les chiffres, avril 2024 se retrouve, à peu de choses près, dans la norme des trente dernières années. Ce qui est spécial, ce sont ces extrêmes, et surtout les plus chauds en tout début de mois.

Ce genre de phénomènes, est-ce la nouvelle norme?
Les hivers plus cléments qui poussent la nature à se réveiller plus vite au printemps s’observent depuis quelques années. Si on ne peut pas affirmer que c’est un schéma qui se reproduira chaque année, c’est en tout cas une tendance qui se confirme et risque, en effet, de se répéter dans le futur.

Enfin, les agriculteurs, doivent-ils craindre un regel d’ici aux saints de glace?
A priori, on tend vers des températures qui resteront fraîches ou de saison pour début mai. Les premières tendances n’indiquent, pour l’heure, pas de nouvelle période de gel.